un oncle pas comme les autres
en octobre 1947,
j'avais fait
ma première rencontre
avec mon oncle
paternel
rahal.
c'était un
demi-frère de mon père,
du côté
maternel.
il était plus
âgé que lui.
entre les
deux, il y avait une soeur et un frère,
ces derniers
étaient frangins à mon père.
à titre complémentaire,
mon père
avait, du côté paternel,
deux
demi-frères et une demi-soeur.
rahal avait
une frangine plus âgée que lui.
jusqu'à l'âge
de deux ans et demi,
j'avais passé
ma première enfance, à la maison,
vivant
dans un espace familial totalement féminin,
composé de ma
mère, d'une tante maternelle,
d'une autre
paternelle et sa fille orpheline de père,
de ma
soeur halima qui allait nous quitter
en cette
fin de ma première enfance.
mon père était
tenu de partir à son travail
dès les
premières lueurs de l'aube.
il n'en
revenait qu'après le crépuscule.
à l'époque
coloniale, le travail dans le secteur industriel
n'était pas
bien réglementé par la législation.
ceci étant, il
arrivait que mon père quittait ma ville natale,
pour aller
travailler ailleurs durant des mois consécutifs,
probablement
pour améliorer sa situation matérielle.
c'était ainsi
que sa présence était réduite
à sa plus
simple expression.
mais cette
absence momentanée ne dérangeait en rien
le pouvoir
paternel qui maîtrisait le foyer
matériellement
et moralement.
tous les
membres de la famille lui exprimaient
amour,
respect.
dans le cadre
de cet article, je baisse le rideau
sur tout ce
que je viens de citer,
pour ne
m'intéresser que de mon oncle rahal.
après avoir
passé plus de deux ans à l'école coranique,
apprenant à
lire et à écrire les premières sourates du Saint Coran,
j'avais
intégré une sorte d'école publique, l'école du pacha.
c'était
en octobre 1947,
j'avais à
peine cinq ans.
ma soeur
halima fut décédée bien avant cette date,
ce qui
provoqua un grand chagrin dans mon petit coeur,
et une
profonde tristesse au sein de ma famille,
surtout ma
mère qui avait auparavent
perdu une
fille et deux garçons.
mais Allah le
tout Puissant offra un beau garçon que mon père
baptisa
abdelaziz, un vrai rayon de lumière
qui avait
dissipé et mon chagrin et la tristesse de ma mère.
le but
de mon transfert vers une école publique
était pour me
permettre d'apprendre le français,
en même temps
que l'arabe.
cette école
était bilingue,
dirigée
par un corps enseignant français.
au fait,
le bilinguisme n'était qu'une façade.
la langue
française était prédominante.
c'était la
première fois que je me trouvais
en face de
cette langue, signe imposant de la présence coloniale.
au début,
c'était pratiquement du charabia pour moi.
mais je
sentais, malgré mon très jeune âge
que le maître,
ainsi qu'on nous avait appris de l'appeler,
tenait
avec acharnement,
à nous
enseigner la langue de l'Empire.
il était très
gentil avec les écoliers.
je captais
cette gentillesse par le sourire qu'il nous distribuait,
par sa voix
douce et musicale quoique un peu grave.
par sa
gestuelle agréable qui te donnait envie d'apprendre,
et apprendre
vite, comme pour récompenser les efforts de ce bonhomme
aux cheveux
blonds et aux yeux bleus.
dès la fin de
la première semaine,
toute la
classe commençait par répéter les comptines
que notre
maître nous apprenait.
en ce
qui concernait la langue arabe,
un vieux fkih
nous enseignait les premières sourates du Saint Coran,
à la toute
dernière heure de la journée.
je n'en avais
gardé en mémoire que sa djellaba grise,
ses babouches
jaunes et son visage tout blême.
le fkih
"tait très peu causeur avec nous les petits écoliers.
il se
contentait de nous apprendre par coeur les sourates.
je
n'avais pris conscience de cette pédagogie à double faces
que bien après
avoir quitté cette école.
à
l'époque, j'étais trop jeune pour pouvoir
pratiquer le
chemin de la maison jusqu'à l'école.
mon père ne
pouvait pas m'accompagner,
car il se
rendait chaque jour au lieu de son travail,
deux heures
avant l'ouverture de l'école.
les femmes
étaient casanières,
ne quittant le
foyer qu'en compagnie du père ou du mari,
par conséquent
aucune femme de mon foyer
ne pouvait me
conduire à l'école.
mon père avait
donc trouvé la solution de me confier
à mon oncle
rahal qui, d'un côté, il était encore célibataire,
et de l'autre,
il vivait avec nous,
depuis le jour
où mon père l'amena avec lui de la campagne.
chaque matin,
ma mère me préparait avec soin avant le départ à l'école.
elle me
confiait ensuite à mon oncle rahal,
à qui elle
remettait mon petit cartable en cuir.
dès le seuil
de la porte de notre maison, mon oncle me soulevait,
et me plaçait
sur ses épaules, en me serrant le dos d'une main,
contre sa
nuque, et de l'autre main, il tenait le cartable.
mon oncle
était long de taille,
environs un
mètre quatre-vingts-dix,
il était fort
et vigoureux.
il affichait
une expression de visage extraordinaire:
un visage
ouvert, souriant et agréable,
vis à vis des
personnes qui lui étaient familières,
au contraire,
un visage fermé, sérieux et sévère,
en face des
personnes étrangères.
je me sentais
en sécurité quand il me plaçait sur ses épaules.
tout au long
du chemin, j'observais, d'en haut, les scènes de la ville.
les charrettes
tirées par des mulets ou des chevaux,
des fiacres
vides ou occupés par des personnes plus ou moins âgées,
des ânes avec
leurs charges,
des porteurs
qui transportaient sur leur dos des sacs,
chargés de je
ne savais quoi, probablement de marchandises,
rarement des
chameaux ou des bicyclettes,
mais beaucoup
de passants qui se rendaient aux souks de la médina.
quand je
m'approchais de l'école, j'observais les écoliers
qui se
déplaçaient à pieds, d'un pas nonchalant;
je me sentais
tout heureux de les voir en dessous de mes pieds.
à l'arrivée
devant la porte de l'école, mon oncle ne me lâchait pas;
il attendait à
ce que la cloche sonnait,
et qu'elle
s'ouvrait,
pour me
déposer par terre et me remettre au surveillant.
il restait
devant l'école jusqu'à ce que la cloche sonnait pour la seconde fois.
puis il
disparaissait jusqu'à midi.
quand la
cloche sonnait et la porte de l'école s'ouvrait,
mon oncle me
récupérait,
me faisait
traverser la rue;
et à quelque
mètres de marche, il frappait à une porte.
une bonne
femme ouvrait et me faisait introduire chez-elle.
c'était là où
je prenais mon déjeuner.
cette femme
était l'épouse d'un ami à mon père.
mon père avait
trouvé cette solution pratique
pour me faire
éviter de faire l'aller et retour deux fois par jour.
quand la
cloche de l'école sonnait à deux heures de l'après-midi,
mon oncle
venait pour me récupérer de ma pension,
et me
conduisait à l'école.
le soir à la
fermeture de l'école, vers cinq heures,
mon oncle se
pointait devant la porte de l'école.
il me
plaçait sur ses épaules,
ce siège très
confortable
qui m'était
très cher,
et qui
restait, reste encore,
et restera
toujours gravé à jamais dans ma mémoire profonde.
il pratiquait
le même chemin de retour.
quand il
frappait à la porte de notre maison,
la plupart du
temps, c'était ma tante maternelle
qui ouvrait et
me récupérait du haut des épaules de mon oncle.
je me souviens
bien, qu'un beau matin d'un jour férié,
mon oncle
m'avait transporté sur ses épaules,
jusqu'à la
place de jamae elfna.
c'était la
première fois que je découvrais
cette vaste
place pleine de spectacles de toutes sortes.
j'étais
émerveillé, surtout que j'observais,
du haut des
épaules de mon oncle,
les gens, les
animaux, les choses.
pour la
première fois de ma vie,
j'avais vu des
serpents de différentes couleurs et longueurs;
j'avais vu
aussi des gnawas qui dansaient, sautaient,
sur un rythme
musical qui incitait à partager leur spectacle.
à mon retour à
la maison, je n'avais pas cessé de raconter,
à ma mère, mes
deux tantes, à ma cousine et mon petit frère,
ce que
j'avais vu pour durant la matinée.
la
relation affective qui m'avait lié avec mon oncle,
depuis cette
époque, avait duré jusqu'à sa mort.
elle était
très forte et très solide.
plusieurs
années s'étaient écoulées.
au moment où
mon oncle agonisait,
j'étais
tout près de son chevet;
il s'apprêtait à
rendre l'âme.
parmi mes
oncles et tantes paternels,
il était le
dernier à nous avoir quitté.
allongé sur
son dot, la tête sur un oreiller,
entouré de ses
enfants, garçons et filles,
dont certains
étaient mariés et avaient des enfants.
il était calme
et ne souffrait pas,
ne gémissait
pas;
son regard
balançait entre le visage de mon père,
comme pour
puiser de lui un peu de force,
et mon propre
visage, comme pour me signifier
qu'il était
fier de moi.
moi, je
pleurais en silence.
je savais que
j'allais me séparer d'un oncle...
pas comme les
autres.
à suivre
hamid albachir
almakki
juin 2011
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