mercredi 4 mai 2016

Un oncle pas comme les autres

 un oncle pas comme les autres

  en octobre 1947,
j'avais fait ma première rencontre
avec mon oncle paternel
rahal.
c'était un demi-frère de mon père,
du côté maternel.
il était plus âgé que lui.
entre les deux, il y avait une soeur et un frère,
ces derniers étaient frangins à mon père.
à titre  complémentaire,
mon père avait, du côté paternel,
deux demi-frères et une demi-soeur.
rahal avait une frangine plus âgée que lui.
jusqu'à l'âge de deux ans et demi, 
j'avais passé ma première enfance, à la maison,
 vivant dans un espace familial totalement féminin,
composé de ma mère, d'une tante maternelle,
d'une autre paternelle et sa fille orpheline de père, 
 de ma soeur halima qui allait nous quitter
 en cette fin de ma première enfance.
mon père était tenu de partir à son travail 
dès les premières lueurs de l'aube.
il n'en revenait qu'après le crépuscule.
à l'époque coloniale, le travail dans le secteur industriel
n'était pas bien réglementé par la législation.
ceci étant, il arrivait que mon père quittait ma ville natale,
pour aller travailler ailleurs durant des mois consécutifs,
probablement pour améliorer sa situation matérielle.
c'était ainsi que sa présence était réduite
à sa plus simple expression.
mais cette absence momentanée ne dérangeait en rien
le pouvoir paternel qui maîtrisait le foyer
matériellement et moralement.
tous les membres de la famille lui exprimaient
amour, respect.
dans le cadre de cet article, je baisse le rideau
sur tout ce que je viens de citer,
pour ne m'intéresser que de mon oncle rahal.
après avoir passé plus de deux ans à l'école coranique,
apprenant à lire et à écrire les premières sourates du Saint Coran,
j'avais intégré une sorte d'école publique, l'école du pacha. 
 c'était en octobre 1947,
j'avais à peine cinq ans.
ma soeur halima fut décédée bien avant cette date,
ce qui provoqua un grand chagrin dans mon petit coeur,
et une profonde tristesse au sein de ma famille,
surtout ma mère qui avait auparavent
perdu une fille et deux garçons.
mais Allah le tout Puissant offra un beau garçon que mon père
baptisa abdelaziz, un vrai rayon de lumière
qui avait dissipé et mon chagrin et la tristesse de ma mère.  
 le but de mon transfert vers une école publique
était pour me permettre d'apprendre le français,
en même temps que l'arabe.
cette école était bilingue,
 dirigée par un corps enseignant français.
au fait, le bilinguisme n'était qu'une façade.
la langue française était prédominante.
c'était la première fois que je me trouvais
en face de cette langue, signe imposant de la présence coloniale.
au début, c'était pratiquement du charabia pour moi.
mais je sentais, malgré mon très jeune âge
que le maître, ainsi qu'on nous avait appris de l'appeler,
 tenait avec acharnement, 
à nous enseigner la langue de l'Empire. 
il était très gentil avec les écoliers.
je captais cette gentillesse par le sourire qu'il nous distribuait,
par sa voix douce et musicale quoique un peu grave.
par sa gestuelle agréable qui te donnait envie d'apprendre,
et apprendre vite, comme pour récompenser les efforts de ce bonhomme
aux cheveux blonds et aux yeux bleus.
dès la fin de la première semaine,
toute la classe commençait par répéter les comptines
que notre maître nous apprenait.
 en ce qui concernait la langue arabe,
un vieux fkih nous enseignait les premières sourates du Saint Coran,
à la toute dernière heure de la  journée.
je n'en avais gardé en mémoire que sa djellaba grise,
ses babouches jaunes et son visage tout blême.
le fkih "tait très peu causeur avec nous les petits écoliers.
il se contentait de nous apprendre par coeur les sourates.
 je n'avais pris conscience de cette pédagogie à double faces
que bien après avoir quitté cette école.
 à l'époque, j'étais trop jeune pour pouvoir
pratiquer le chemin de la maison jusqu'à l'école.
mon père ne pouvait pas m'accompagner,
car il se rendait chaque jour au lieu de son travail,
deux heures avant l'ouverture de l'école.
les femmes étaient casanières,
ne quittant le foyer qu'en compagnie du père ou du mari,
par conséquent aucune femme de mon foyer
ne pouvait me conduire à l'école.
mon père avait donc trouvé la solution de me confier
à mon oncle rahal qui, d'un côté, il était encore célibataire,
et de l'autre, il vivait avec nous, 
depuis le jour où mon père l'amena avec lui de la campagne.
chaque matin, ma mère me préparait avec soin avant le départ à l'école.
elle me confiait ensuite à mon oncle rahal, 
à qui elle remettait mon petit cartable en cuir.
dès le seuil de la porte de notre maison, mon oncle me soulevait,
et me plaçait sur ses épaules, en me serrant le dos d'une main,
contre sa nuque, et de l'autre main, il tenait le cartable.
mon oncle était long de taille,
environs un mètre quatre-vingts-dix,
il était fort et vigoureux.
il affichait une expression de visage extraordinaire:
un visage ouvert, souriant et agréable, 
vis à vis des personnes qui lui étaient familières,
au contraire, un visage fermé, sérieux et sévère,
en face des personnes étrangères.
je me sentais en sécurité quand il me plaçait sur ses épaules.
tout au long du chemin, j'observais, d'en haut, les scènes de la ville.
les charrettes tirées par des mulets ou des chevaux,
des fiacres vides ou occupés par des personnes plus ou moins âgées,
des ânes avec leurs charges,
des porteurs qui transportaient sur leur dos des sacs,
chargés de je ne savais quoi, probablement de marchandises,
rarement des chameaux ou des bicyclettes,
mais beaucoup de passants qui se rendaient aux souks de la médina.
quand je m'approchais de l'école, j'observais les écoliers
qui se déplaçaient à pieds, d'un pas nonchalant;
je me sentais tout heureux de les voir en dessous de mes pieds.
à l'arrivée devant la porte de l'école, mon oncle ne me lâchait pas;
il attendait à ce que la cloche sonnait,
et qu'elle s'ouvrait,
pour me déposer par terre et me remettre au surveillant.
il restait devant l'école jusqu'à ce que la cloche sonnait pour la seconde fois.
puis il disparaissait jusqu'à midi.
quand la cloche sonnait et la porte de l'école s'ouvrait,
mon oncle me récupérait,
me faisait traverser la rue;
et à quelque mètres de marche, il frappait à une porte.
une bonne femme ouvrait et me faisait introduire chez-elle.
c'était là où je prenais mon déjeuner.
cette femme était l'épouse d'un ami à mon père.
mon père avait trouvé cette solution pratique
pour me faire éviter de faire l'aller et retour deux fois par jour.
quand la cloche de l'école sonnait à deux heures de l'après-midi,
mon oncle venait pour me récupérer de ma pension,
et me conduisait à l'école.
le soir à la fermeture de l'école, vers cinq heures,
mon oncle se pointait devant la porte de l'école.
 il me plaçait sur ses épaules,
ce siège très confortable
qui m'était très cher,
et qui restait, reste encore, 
et restera toujours gravé à jamais dans ma mémoire profonde.
il pratiquait le même chemin de retour.
quand il frappait à la porte de notre maison,
la plupart du temps, c'était ma tante maternelle
qui ouvrait et me récupérait du haut des épaules de mon oncle.
je me souviens bien, qu'un beau matin d'un jour férié,
mon oncle m'avait transporté sur ses épaules,
jusqu'à la place de jamae elfna.
c'était la première fois que je découvrais
cette vaste place pleine de spectacles de toutes sortes.
j'étais émerveillé, surtout que j'observais, 
du haut des épaules de mon oncle,
les gens, les animaux, les choses.
pour la première fois de ma vie,
j'avais vu des serpents de différentes couleurs et longueurs;
j'avais vu aussi des gnawas qui dansaient, sautaient,
sur un rythme musical qui incitait à partager leur spectacle. 
à mon retour à la maison, je n'avais pas cessé de raconter,
à ma mère, mes deux tantes, à ma cousine et mon petit frère,
 ce que j'avais vu pour durant la matinée.
la relation affective qui m'avait lié avec mon oncle,
depuis cette époque, avait duré jusqu'à sa mort.
elle était très forte et très solide.
plusieurs années s'étaient écoulées.
au moment où mon oncle agonisait,
 j'étais tout près de son chevet;
il s'apprêtait à rendre l'âme.
parmi mes oncles et tantes paternels,
il était le dernier à nous avoir quitté.
allongé sur son dot, la tête sur un oreiller,
entouré de ses enfants, garçons et filles,
dont certains étaient mariés et avaient des enfants.
il était calme et ne souffrait pas,
ne gémissait pas;
son regard balançait entre le visage de mon père,
comme pour puiser de lui un peu de force,
et mon propre visage, comme pour me signifier
qu'il était fier de moi.
moi, je pleurais en silence.
je savais que j'allais me séparer d'un oncle...
pas comme les autres.
à suivre
hamid albachir almakki
juin 2011



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