lundi 21 novembre 2016

Je te comprends

  je te comprends 

combien de fois, dans le cadre d'une rencontre,
d'un entretien, d'un dialogue,
j'ai entendu un parent, un ami,
un collègue de travail, un monsieur tout-le-monde, me dire:
" je te comprends".
il s'attache d’émettre cette expression avec une certaine assurance,
afin de me convaincre qu'il dispose d'un pouvoir magique
lui permettant de comprendre avec aisance
les gens qui se trouvent dans l'embarras,
les gens qui sont coincés dans l'une des impasses de la vie,
et qui n'arrivent pas à trouver une issue.
il s'investit d'une sagesse qui remonte à l'aube des temps,
tout au moins il le croit avec conviction et avec ferveur.
chaque fois que je me trouve dans de pareilles situations,
je me dis dans mon fort intérieur:
"est-ce que mon interlocuteur me comprend vraiment?"
d'une voix théâtrale, bien chargée d'effets sonores,
mon interlocuteur utilise tout un arsenal de modulation,
d'amplification, de stéréophonie,
afin d'assembler les sons composant son
" je te comprends"
dans une espèce de symphonie genre danse hongroise de Brahms.
souvent mon interlocuteur pose avec délicatesse sa main
sur mon épaule, il serre doucement celle-ci,
en guise d'accompagnement de son " je te comprends";
tentant par ce geste doux et calmant de me faire sentir qu'il me soutient,
qu'il est disposé à m'assister au premier appel,
qu'il est même capable d'assumer à ma place,
les misères qui entravent mon chemin.
parfois il me caresse la nuque, ses doigts de fée appliquent
avec art et finesse un massage dont l'effet touche en profondeur
mon cervelet pour lui restituer son équilibre.
parfois aussi, mon interlocuteur me couvre de ses regards inquisiteurs,
comme pour me signifier que si je suis dans l'embarras,
c'est que je ne l'avais pas consulter avant d'agir.
cette situation m'exaspère un peu,
car mon interlocuteur, en matière d'analyse transactionnelle,
s'accapare la position du père,
et me place, sans demander ma permission, dans celle de l'enfant;
et que dire quand mon interlocuteur est moins âgé que moi,
et en surplus, a moins d'expériences dans la vie
sociale ou professionnelle.
si j'ai choisi le genre satirique pour peindre le portrait
psychosocial de mon interlocuteur,
un peu à la manière de Jean de La Bruyère,
dans son fameux traité " les caractères",
ce n'est pas dans le but de me moquer de lui, loin de là,
ou de réduire ses compétences en matière d'entraide et de solidarité;
les efforts de mon interlocuteur sont louables;
ce que je lui reproche, c'est son excès de zèle qui,
sans le vouloir, efface ma personnalité du paysage.
pour me comprendre, tant que je sache,
cher interlocuteur,
il faut bien me connaître;
et pour prétendre me connaître,
il faut m'avoir accompagné sur le chemin de la vie,
être en quelque sorte bien collé à ma peau, pour pouvoir me juger,
au niveau du caractère, du tempérament, de l'humeur;
m'avoir éprouvé dans diverses situations,
surtout celles dites difficiles;
comment je me suis comporté dans une situation de crise;
est-ce que je me maîtrise sous le poids des contraintes de la vie,
est-ce que je dispose d'une force de caractère satisfaisante
afin de ne pas perdre les pédales en face des obstacles;
me connaitre signifie que tu connais mes points forts et mes points faibles;
me connaitre implique que tu ne te trompes pas sur mon compte;
que tu connais mes qualités, les bonnes et les mauvaises;
que tu connais mes principes, mes vertus, mes valeurs,
mes convictions, mes goûts, mes penchants.
ne trouves-tu pas que l'entretien d'égal à égal est plus positif,
et aboutit à des résultats étonnants?
si je me confie à toi et si je te fais part de mes soucis,
c'est que tout d'abord je te fais confiance.
ne te presse pas de me donner un quelconque conseil,
car souvent je n'ai besoin que d'une oreille
qui veut bien m'écouter sans répliquer,
j'ai besoin souvent d'un visage qui me sert de miroir
pour pouvoir m'entretenir avec moi-même,
tout en oubliant qu'il est en face de moi.
certes souvent j'ai besoin de ton conseil,
mais sans emphase, sans débordement, sans jeu théâtral.
toi et moi, nous ne sommes pas sur scène en train
de jouer un acte d'une tragédie de Corneille,
pour faire émouvoir le public, voire lui faire couler les larmes.
l'expression " je te comprend" est à double tranchant:
elle a un effet positif sur l'intéressé quand celui qui la prononce
est bien placé pour le dire;
l'effet par contre est désastreux dans le cas contraire.
alors, réfléchis bien avant de dire à quelqu'un
qui se confie à toi: " je te comprends"
quand au fond de lui-même, il sait que tu ne peux pas
le comprendre, car tu le connais peu.
certains lecteurs sont tentés de répliquer:
" alors pourquoi tu te hasarde de te confier à une personne
que tu sais d'avance qu'elle te connait à peine?".
en guise de réponse et de conclusion:
" c'est la nature humaine, elle est subtile et complexe,
elle n'est pas soumise aux lois mathématiques,
souvent même elle échappe à toute logique."
hamid albachir almakki
octobre 2010


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