je te comprends
combien de fois, dans le cadre d'une
rencontre,
d'un entretien, d'un dialogue,
j'ai entendu un parent, un ami,
un collègue de travail, un monsieur
tout-le-monde, me dire:
" je te comprends".
il s'attache d’émettre cette expression
avec une certaine assurance,
afin de me convaincre qu'il dispose d'un
pouvoir magique
lui permettant de comprendre avec aisance
les gens qui se trouvent dans l'embarras,
les gens qui sont coincés dans l'une des
impasses de la vie,
et qui n'arrivent pas à trouver une issue.
il s'investit d'une sagesse qui remonte à
l'aube des temps,
tout au moins il le croit avec conviction
et avec ferveur.
chaque fois que je me trouve dans de
pareilles situations,
je me dis dans mon fort intérieur:
"est-ce que mon interlocuteur me
comprend vraiment?"
d'une voix théâtrale, bien chargée d'effets
sonores,
mon interlocuteur utilise tout un arsenal
de modulation,
d'amplification, de stéréophonie,
afin d'assembler les sons composant son
" je te comprends"
dans une espèce de symphonie genre danse
hongroise de Brahms.
souvent mon interlocuteur pose avec
délicatesse sa main
sur mon épaule, il serre doucement
celle-ci,
en guise d'accompagnement de son " je
te comprends";
tentant par ce geste doux et calmant de me
faire sentir qu'il me soutient,
qu'il est disposé à m'assister au premier
appel,
qu'il est même capable d'assumer à ma
place,
les misères qui entravent mon chemin.
parfois il me caresse la nuque, ses doigts
de fée appliquent
avec art et finesse un massage dont l'effet
touche en profondeur
mon cervelet pour lui restituer son
équilibre.
parfois aussi, mon interlocuteur me couvre
de ses regards inquisiteurs,
comme pour me signifier que si je suis dans
l'embarras,
c'est que je ne l'avais pas consulter avant
d'agir.
cette situation m'exaspère un peu,
car mon interlocuteur, en matière d'analyse
transactionnelle,
s'accapare la position du père,
et me place, sans demander ma permission,
dans celle de l'enfant;
et que dire quand mon interlocuteur est
moins âgé que moi,
et en surplus, a moins d'expériences dans
la vie
sociale ou professionnelle.
si j'ai choisi le genre satirique pour
peindre le portrait
psychosocial de mon interlocuteur,
un peu à la manière de Jean de La Bruyère,
dans son fameux traité " les
caractères",
ce n'est pas dans le but de me moquer de
lui, loin de là,
ou de réduire ses compétences en matière
d'entraide et de solidarité;
les efforts de mon interlocuteur sont
louables;
ce que je lui reproche, c'est son excès de
zèle qui,
sans le vouloir, efface ma personnalité du
paysage.
pour me comprendre, tant que je sache,
cher interlocuteur,
il faut bien me connaître;
et pour prétendre me connaître,
il faut m'avoir accompagné sur le chemin de
la vie,
être en quelque sorte bien collé à ma peau,
pour pouvoir me juger,
au niveau du caractère, du tempérament, de
l'humeur;
m'avoir éprouvé dans diverses situations,
surtout celles dites difficiles;
comment je me suis comporté dans une
situation de crise;
est-ce que je me maîtrise sous le poids des
contraintes de la vie,
est-ce que je dispose d'une force de
caractère satisfaisante
afin de ne pas perdre les pédales en face
des obstacles;
me connaitre signifie que tu connais mes
points forts et mes points faibles;
me connaitre implique que tu ne te trompes
pas sur mon compte;
que tu connais mes qualités, les bonnes et
les mauvaises;
que tu connais mes principes, mes vertus,
mes valeurs,
mes convictions, mes goûts, mes penchants.
ne trouves-tu pas que l'entretien d'égal à
égal est plus positif,
et aboutit à des résultats étonnants?
si je me confie à toi et si je te fais part
de mes soucis,
c'est que tout d'abord je te fais
confiance.
ne te presse pas de me donner un quelconque
conseil,
car souvent je n'ai besoin que d'une
oreille
qui veut bien m'écouter sans répliquer,
j'ai besoin souvent d'un visage qui me sert
de miroir
pour pouvoir m'entretenir avec moi-même,
tout en oubliant qu'il est en face de moi.
certes souvent j'ai besoin de ton conseil,
mais sans emphase, sans débordement, sans
jeu théâtral.
toi et moi, nous ne sommes pas sur scène en
train
de jouer un acte d'une tragédie de
Corneille,
pour faire émouvoir le public, voire lui
faire couler les larmes.
l'expression " je te comprend"
est à double tranchant:
elle a un effet positif sur l'intéressé
quand celui qui la prononce
est bien placé pour le dire;
l'effet par contre est désastreux dans le
cas contraire.
alors, réfléchis bien avant de dire à
quelqu'un
qui se confie à toi: " je te
comprends"
quand au fond de lui-même, il sait que tu
ne peux pas
le comprendre, car tu le connais peu.
certains lecteurs sont tentés de répliquer:
" alors pourquoi tu te hasarde de te
confier à une personne
que tu sais d'avance qu'elle te connait à
peine?".
en guise de réponse et de conclusion:
" c'est la nature humaine, elle est
subtile et complexe,
elle n'est pas soumise aux lois
mathématiques,
souvent même elle échappe à toute
logique."
hamid albachir almakki
octobre 2010
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