lundi 21 novembre 2016

Les trains de la vie

Les trains de la vie 

je me suis trouvé un beau matin, assez tôt,
dans une gare de train,
sans vraiment savoir pourquoi je m'y suis rendu.
c'est une fois dedans que je me suis posé la question:
" dis moi petit bonhomme, tu fais quoi dans cette gare?
tu veux prendre quelle destination?
et pourquoi faire?"
j'attends une réponse précise,
mais cette tête de mule qui est la mienne est bouche cousue.
" mais réponds moi vite bon sang, lui ai-je demandé!"
toujours rien...mutisme total!
soudain, un train fonce en toute vapeur et s'arrête net aux bords des quais.
chose bizarre, aucun voyageur n'est descendu du train,
par contre, plusieurs voyageurs se pressent pour y accéder.
moi, fixé sur un banc, observe le spectacle sans vraiment comprendre.
puis le temps passe, et continue à couler sans arrêt.
les trains aussi défilent dans les deux sens sans incident.
de temps à autre, des chariots chargés de valises de différentes couleurs,
et de sacs de différents formats,
sont poussés par des transporteurs attitrés,
accompagnés d'agents de sécurité armés jusqu'aux dents.
du coup je me suis rendu compte que je n'ai pas de bagage sur moi.
" mais bon sang, qu'est-ce que je suis venu faire dans cette gare,
me suis-je posé la question je ne sais combien de fois?"
soudain, un vieil homme, les cheveux tout blancs,
les yeux cachés par des lunettes aux verres noirs opaques,
tenant à la main une canne en bambou, vient s'assoir sur le banc, à côté de moi.
sans tarder, il m'adresse la parole dans un ton familier,
comme s'il me connaît depuis fort longtemps:
" tu veux prendre le train prochain, mon gars?"
" que vais-je répondre à ce vieil intrus dans ma vie privé,
me suis-je demandé?"
j'ai décidé de ne pas lui répondre,
mais de lui répliquer par une question du même genre,
d'autant plus que, en toute sincérité, je ne sais vraiment quoi répondre.
" le prochain train se dirigera vers où, lui ai-je demandé?".
" lequel mon gars, celui qui va vers l'est,
ou celui qui va vers l'ouest, a-t-il répliqué lui aussi?".
" mais quelle différence y a-t-il entre les deux destinations, ai-je demandé?".
" bien sûr qu'il y a une différence entre l'est et l'ouest,
mon petit gars, a-t-il répondu, en affichant
un rire dégageant un fond de bouche sans la moindre dent".
" tu peux m'expliquer vieil homme, ai-je encore demandé?".
il a plongé son menton tout maigre dans sa paume droite pleine de rides.
il s'est retourné vers moi et a dit:
" sache, mon petit gars, que le prochain train qui va vers l'est,
contient des bagnards malheureux,
par contre celui qui va vers l'ouest, contient des bagnards heureux".
"le vieil homme est certainement dérangé, ai-je pensé".
mais j'ai eu vite l'impression que le vieil homme a lu dans ma pensée;
et il a du coup répliqué:
" ne pense pas que je suis un malade mental;
je vais t'expliquer:
* un bagnard malheureux est une personne
qu'on a fait embarqué de force, malgré lui,
pour aller travailler dans des exploitions collectives,
au nom du parti unique;
alors que le bagnard heureux est une personne qui a choisi
d'aller travailler dans des exploitations privés,
au nom de la démocratie".
" je ne vois pas où réside la différence mon vieil homme, ai-je demandé".
" la différence, mon petit gars, a-t-il répliqué,
dans les deux cas de figure, réside au fait que
le bagnard bosse ou de son propre gré ou bien contre.
dans les deux cas de figure, le bagnard verse sa sueur et son sang,
et c'est l'autre, la nomenclatura du parti unique
ou celle des partis multiples, qui tire profit,
tu piges maintenant mon petit gars?".
puis il a disparu en coup de vent.
j'ai compris alors que les trains de la vie sont conçus
pour transporter des bagnards de force ou de grès,
aux exploitations des autres.
le comble, c'est qu'une fois introduit dans une gare,
tu ne peux plus reculer et en sortir.
tu dois absolument prendre un train, ou de gré ou de force.
bagnard heureux ou bagnard malheureux,
la différence réside dans la manière d'avaler la pilule.
hamid albachir almakki
juillet 2010


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